Irrégularités chez Creusot-Forge : une pratique très répandue qui affecte tout le parc nucléaire

La découverte d’anomalies dans la composition de l’acier des calottes de l’EPR a entraîné des audits et une revue de qualité chez le fabriquant, Creusot-Forge. Le 25 avril 2015, Areva, propriétaire de la forge, informe l’ASN de la découverte de “dossiers barrés”, c’est à dire marqués par deux barres afin de signaler qu’ils devaient rester internes. Sur les 430 “dossiers barrés”, 283 sont liés à des équipements nucléaires.

La revue des « dossiers barrés » réalisée au cours de l’année 2016 a conduit à la découverte de 87 irrégularités pour des équipements du parc nucléaire français en exploitation. La liste a été publiée par l’ASN.

Exemple d’irrégularité concernant un générateur de vapeur destiné à Gravelines 5. Document rendu public par l’ASN dans cette présentation.

Le cas le plus grave concerne un générateur de vapeur de Fessenheim 2, mis à l’arrêt le 16 juin 2016. Le certificat d’épreuve de ce générateur est suspendu depuis le 18 juillet 2016 et le réacteur est toujours à l’arrêt. Voir notre chronologie.

Selon l’ASN, les générateurs de vapeur sont des équipements particulièrement importants pour la sûreté car ils participent au refroidissement du cœur du réacteur et au confinement des substances radioactives. En 2008, au cours du forgeage de la virole basse en question, Creusot Forge a décidé de ne pas couper une des deux extrémités du lingot, appelée « masselotte », car la longueur était trop courte, mais poursuit la fabrication. La majeure partie de celle-ci est donc présente dans la pièce finale, ce qui peut conduire à la présence d’inclusions dans l’acier et à une composition chimique locale du matériau pouvant dégrader sa soudabilité, son vieillissement et ses propriétés mécaniques.

Extrait du dossier barré concernant le générateur de vapeur de Fessenheim 2 tiré d’une présentation de l’ASN

L’EPR de Flamanville est aussi affecté par ces irrégularités. Là encore une virole aurait dû être mise au rebut pour cause de taux de chutage insuffisant. Le document transmis à l’ASN ne mentionne aucun problème…

L’ASN considère que certaines de ces irrégularités s’apparentent à des falsifications et a porté l’affaire en justice en octobre 2016, comme la loi l’y oblige.

En juillet 2016, Areva procède à un examen par sondage des autres dossiers, non barrés, et découvre rapidement des pratiques similaires à celles détectées sur les dossiers barrés. Elle décide donc de lancer l’examen de tous les dossiers de fabrication de pièces nucléaires qui débute en septembre 2016. Un premier bilan est rendu public un an plus tard.

Sur près de 10 000 dossiers de fabrication présents à Creusot Forge, plus de 6 000 concernent l’industrie nucléaire, dont 1 600 des composants à enjeu de sûreté installés sur le parc nucléaire en exploitation. Selon Areva, environ 170 personnes passent en revue ces dossiers. Et EdF fait un décompte des écarts de conformité en distinguant les « non-conformités » qui portent sur une exigence interne au fabricant des « anomalies » relatives aux exigences externes réglementaires ou du client, qui a donc été grugé. Voir la page dédiée.

A la mi-septembre 2017, un premier bilan portant sur 12 réacteurs du parc en activité, fait état de 130 fiches de non-conformité et 471 d’anomalie. Lors de la réunion du 5 octobre du HCTISN, un représentant EdF a expliqué s’attendre à environ 3 000 fiches de non-conformité ou d’anomalie à la fin du processus prévu pour décembre 2018. Bref, tout le parc nucléaire français est touché par ce scandale majeur. Même l’EPR de Flamanville 3 est concerné avec 16 non-conformités et 95 anomalies. Voir notre chronologie.  Pour ce dernier, EdF précise que :

  • 8 situations nécessitent des analyses complémentaires : reprise de quelques notes de calcul ou réalisation de quelques essais de validation, ces justifications sont en cours de finalisation par AREVA ;
  • 1 situation concernant le positionnement dans le lingot de forge servant à la fabrication d’une virole pour un des générateurs de vapeur, qui nécessite un programme d’essais fondé sur une pièce sacrificielle. Ce programme d’essais est en cours, sous le contrôle de l’ASN.

On n’en saura pas plus. Il n’y a pas que la cuve de l’EPR et ses marges de sûreté rognées qui posent problème…

L’ASN a demandé la prise en compte des effets cumulatifs des défauts de fabrication cachés et une extension de la revue à l’ensemble des pièces moulées. Une fois la revue terminée, des contrôles seront prescrits pour certaines pièces.

L’ACRO demande la publication de la liste de toutes les non-conformités et anomalies détectées assortie d’explications sur leur gravité.